Quand un nom de marque devient un nom commun

Philip Kotler disait que si on n’est pas une marque, on est une commodité, c’est à dire un simple service ou une simple marchandise. Si la marque est justement ce qui permet de se différencier, parfois certaines finissent par incarner une catégorie, en allant jusqu’à devenir un nom commun. Ce paradoxe a un nom : une antonomase de nom propre.
Jacuzzi
Karcher

Un Don Juan pour un séducteur, un Tartuffe pour un hypocrite, un Harpagon pour un avare, un Apollon pour un bel homme, on voit sur le principe ce que peut être une antonomase de nom propre. Certains noms propres deviennent même des noms communs à part entière : poubelle (du préfet de la Seine Eugène Poubelle qui a signé un arrêté préfectoral en 1883 pour l’enlèvement des ordures ménagères), silhouette (d’Étienne de Silhouette à qui a été associée la technique de l’art de l’ombre et des portraits en ombres chinoises). D’autres noms propres sont devenus des unités de mesure (ampère, gauss…), ou encore des noms de plantes (bougainvillée, bégonia, magnolia…).

Ce phénomène n’échappe pas aux noms de marques : d’Abribus, Alcootest, Audimat, Bateau-Mouche, Bic, Bikini, Botox, Bottin, Brumisateur, Carte bleue, Caméscope, Camping-Gaz, Canadair, Cellophane, Chatterton, Cocotte-minute, Dictaphone, Digicode, Escalator, Esquimau, Formica, Frigidaire… à Meccano, Pédalo, Perfecto, Rimmel, Post-it, Scotch, Skaï, Sopalin, Stabilo, Texto, Velux ou Zodiac, le dictionnaire regorge de noms de marques devenus des noms communs.

Voir son nom entrer dans le dictionnaire ou dans le langage courant pourrait être considéré comme un graal absolu, mais c’est surtout souvent le début de la banalisation ou d’une perte de maitrise de son image.

Jacuzzi est l’exemple même de banalisation. C’est pourtant une marque déposée depuis 1968, date à laquelle Roy Jacuzzi améliore un dispositif, mis au point 20 ans plus tôt par son grand-père, de pompe hydraulique mobile qui s’adapte à n’importe quelle baignoire : il invente alors la première baignoire d’hydromassage qui peut accueillir plusieurs personnes en simultané en intégrant directement des jets qui mêlent l’eau et l’air. Le terme de jacuzzi s’est vite imposé dans le langage courant pour nommer la catégorie. La marque étant américaine, elle essaie en France, mais sans beaucoup de conviction, de revendiquer ses origines et son statut de marque déposée.

Jacuzzi

Karcher se trouve dans une problématique similaire, mais en étant par ailleurs, depuis quelques années, confrontée à une perte de maitrise de son image. Marque allemande fondée en 1935, elle est assimilée à la catégorie des nettoyeurs haute pression. Le terme de « karchérisation » a même intégré le discours politique, au point que la marque essaie tant bien que mal de reprendre possession de son image, comme le montre par exemple ce communiqué de presse publié en janvier 2022.

Karcher

Entre leadership et banalisation, le brand management est décidément un art délicat.