Pierre Cardin, retour vers le futur

Le créateur disait vouloir devenir une marque car « une griffe ça disparaît au bout de trois mois, alors qu’une marque ça reste ». Il est resté jusqu’à la fin le seul indépendant face aux grands groupes.

On se souvient que dans le film Retour vers le futur, le héros Marty McFly, interprété par Michael J.Fox, se réveille après un voyage dans le temps grâce la mythique Delorean de Doc Brown, dans le lit de celle qui sera sa mère. S’en suivra cet échange entre les deux personnages :

  • « Vous savez Pierre, c’est le premier slip mauve que je vois », dit Lorraine, jouée par Lea Thompson.
  • « Pierre, mais pourquoi m’appelez-vous toujours Pierre ? », rétorque Marty.
  • « C’est bien votre nom ? Pierre Cardin. C’est marqué partout sur vos sous-vêtements ! ».
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En réalité, dans la version originale du film, Lorraine s’adresse à Marty en l’appelant Calvin, en référence à la marque américaine Calvin Klein. Créée à la fin des années 1960 par le styliste du même nom, cette dernière est déjà bien implantée aux États-Unis. Mais lorsque Retour vers le futur sort en France en 1985, elle n’a pas encore la notoriété qu’on lui connaît aujourd’hui en Europe. Le doubleur français décidera alors, pour la bonne compréhension du dialogue, de remplacer Calvin Klein par Pierre Cardin, infiniment plus populaire chez nous à l’époque.

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Photos de Pierre Cardin, issues du site pierrecardin.com

Couturier avant-gardiste adepte du style futuriste, Pierre Cardin est né à San Biagio di Callalta, près de Venise, le 2 juillet 1922, d’une famille de paysans ruinés par la Grande Guerre, qui ont fui l’Italie de Mussolini pour s’installer à Saint-Etienne avec leurs dix enfants dans les années 20. Pierre Cardin se présentait d’abord comme un créateur. Et même s’il a géré ses affaires en mégalomaniaque, en insistant sur la noblesse du travail, il avait l’humilité aussi de dire que sa réussite avait tenu à la chance d’une rencontre décisive : « La chance, on ne la cherche pas. On la rencontre. J’ai fait une rencontre essentielle pour moi, petit provincial, qui m’a permis de débuter dans la mode, chez PaquinUne minute plus tard, je ne rencontrais pas la chance. » Pierre Cardin s’est rapidement imposé comme une figure emblématique des années 60, aux côtés de Paco Rabanne et André Courrèges, avec des collections inspirées de l’univers spatial. Découpes de formes graphiques, épaulettes militaires, jupes suspendues à des hauts en métal, robes bulles et cerceaux, chasubles à découpe hublot, couleurs vives associées aux tons argentés, voilà le style Cardin. Des vêtements semblant tout droit sortis d’une autre galaxie, imaginés par un couturier intrigué par la science-fiction et l’exploration spatiale. Un monde qu’il finit par approcher en 1971 en étant le premier civil à revêtir une combinaison spatiale, celle de Buzz Aldrin.

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La robe bulle (1954)

Ayant démarré comme apprenti a 14 ans chez un petit tailleur de Saint-Etienne, il monte à la capitale en 1945 pour se faire embaucher par Paquin et devenir en 1946 le premier collaborateur de Christian Dior à 24 ans, où il participa à la confection du fameux tailleur Bar. Il quitte Dior sur un coup de tête au bout de trois ans et prend son envol faisant l’acquisition de la maison Pascaud, un atelier de couture spécialisé dans les costumes de théâtres, qui deviendra la maison Pierre Cardin en 1950.

Pierre Cardin commence alors par proposer des vêtements et masques de théâtre, influencé par sa rencontre avec Jean Cocteau en 1946 qui lui confie la réalisation des costumes de son film La Belle et la Bête. C’est en 1953 qu’il présente sa première collection de haute couture et, dès l’année suivante, remporte un franc succès avec sa robe bulle, qui entre dans l’histoire et fait le tout du monde.

Ses manteaux et tailleurs suscitent l’enthousiasme des observateurs. Il ouvre dans la foulée sa première boutique dédiée à la femme, baptisée « Eve », rue du Faubourg-Saint-Honoré, puis une seconde, en 1957, « Adam », cette fois consacrée à l’univers masculin.
Les années 60 marquent un tournant avec le lancement du prêt-à-porter féminin en 1959 au Printemps, et masculin l’année suivante. Cette collection sera même portée par des étudiants lors du défilé car les mannequins hommes n’existent pas encore à l’époque.

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Collection de prêt à porter au Printemps

Pierre Cardin ose tout dans les années 50 et 60. Il crée des combinaisons unisexes, des chapeaux satellites ou encore des jupes inspirées de l’art cinétique. Quant à ses costumes à col Mao immortalisés par les Beatles, ils achèvent de faire de lui l’un des designers les plus influents de son temps.

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A contre-courant, Pierre Cardin transgresse donc les usages et pose le premier les bases des collections de prêt-à-porter en parallèle à la haute couture. Et, pire encore pour les puristes, il se lance dans le développement de licences en allant sur des terrains parfois très éloignés de la mode : papiers peints, cigares, eau minérale, vaisselle… tout ou presque y passe. Ainsi, le nom Pierre Cardin envahit plus de cent pays et se retrouve sur un tas d’objets. Vivement critiqué par ses pairs, Pierre Cardin voulait « devenir une marque, car une griffe ça disparaît au bout de trois mois, alors qu’une marque ça reste ».

Dans les années 70, Pierre Cardin élargit son propre domaine de création à d’autres univers. Il se met au design, à la confection de bijoux, aux parfums et s’aventure même dans le domaine de la restauration en devenant le propriétaire du célèbre restaurant Maxim’s à Paris en 1981. En 1979, il signe le design intérieur et la décoration extérieure du Westwind 1124 pour le compte d’Atlantic Aviation.

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Son nom était devenu une marque. Et il a poussé à son paroxysme, au-delà peut-être du raisonnable, la politique de stretching de marque. Précurseur de la mondialisation, il a mis le pied en Chine dès 1978, devenant un des premiers investisseurs étrangers à s’implanter sur ce marché et aussi le premier couturier occidental à défiler à Pékin en 1979. Devenu aussi au fil du temps le « roi des licences », en développant ce que les écoles de marketing appellent parfois sous le néologisme de « cardinisation », Pierre Cardin se félicitait d’avoir « seul, sans financier, sans banque, sans conseiller, réussit une affaire », là où d’autres grands noms de la mode ont depuis rejoint des multinationales du luxe. « C’est très difficile d’avoir un nom dans la mode. Alors quand on en a un, il faut en profiter », résumait-il en mai 2019 dans un entretien à l’AFP.
La vraie question, pour les spécialistes de management de marques, restera longtemps celle de la désirabilité, avec le décalage entre le Cardin créateur avant-gardiste et les objets sous licences assez classiques, à la qualité standard. Pierre Cardin laissera aussi son nom dans les ouvrages de marketing !