Le kebab cherche ses marques

Le kebab suscite depuis quelques années des initiatives marketing, sur des territoires parfois inattendus, avec plus ou moins de succès. Focus sur trois d’entre elles.

Comedie -mehmet aygun

Pour les non initiés, le kebab est ce sandwich chaud composé de fines tranches de viande grillée à la broche, de crudités et de sauce, servi avec des frites.

Même si les origines sont controversées, la légende veut que ce sandwich soit l’invention de Mehmet Aygün, un immigrant Turc qui travaillait en 1971 dans un snack Berlinois. D’autres prétendants en ont aussi revendiqué la paternité : c’est d’ailleurs un autre turc immigré en Allemagne, Kadir Nurman (décédé le 27 octobre 2013), qui a remplacé Mehmet Aygün aux yeux de l’Association des fabricants turcs de kebabs en 2011. Si notre rigueur historique nous amène à citer encore un troisième nom, celui de Nevzat Salim, au moins peut-on s’accorder sur l’origine première du kebab qui remonte finalement bien plus tôt, à l’époque de l’empire ottoman, la nouveauté de cette fin de 20ème siècle résidant uniquement dans la possibilité d’emporter le repas.

Quoiqu’il en soit, la France est le deuxième pays au monde en nombre d’établissements avec 280 millions de kebabs consommés en 2011, et ce malgré les cas de négligence sur l’hygiène mis en avant en 2007 par la DGCCRF dans plus de 61% des kebabs. Engouement de l’hexagone pour la cuisine du monde et attrait des produits de consommation nomade à un prix peu élevé sont autant de facteurs pouvant expliquer les raisons de ce succès. Les restaurateurs l’ont bien compris et ils sont de plus en plus nombreux à vouloir, eux aussi, leur part du kebab.

Comedie Nabab Kebab

Une des premières initiatives vient de Hakim Benotmane. Il a ouvert un « restaurant » à l’enseigne Nabab Kebab en 2003, avec l’ambition d’en faire la première chaîne de restauration rapide franchisée, spécialisée dans le domaine du kebab.

Il reprend alors les recettes marketing et les codes liés aux chaînes de fast food : signalétique et décoration uniformisées, bornes en libre service pour les boissons, soin porté à l’hygiène des cuisines et la traçabilité des matières premières.

Pour se différencier de la concurrence et élargir son offre, il crée de nouvelles recettes, comme le cheese nabab ou le nan cheese kebab, en croisant l’univers du kebab avec des spécialités indiennes. Le succès est au rendez-vous. L’entrepreneur multiplie dès lors le nombre de ses enseignes et développe parallèlement des services de livraison à domicile et des drive-in. Le réseau compte aujourd’hui une quarantaine de franchisés sur la France mais plus globalement encore en Europe, Asie et aux Etats-Unis.

 Comedie - Our kebab 2

Une autre initiative, plus originale, voit le jour en 2009 sous l’impulsion de Damien Schmitz. Cet ingénieur (Centrale Lyon), doublé d’un master à HEC, s’ennuyait dans le consulting quand il se décide à donner ses lettres de noblesse au kebab. Il invente alors le concept du kebab chic (jeu de mot en référence au chiche kebab) et développe l’enseigne Our, avec une promesse de qualité des produits, d’hygiène et de diététique. C’était dans l’air du temps. Pour concrétiser son projet, il fait appel au prestataire en conseil culinaire « Serial Restaurateur » grâce auquel il rencontre le chef étoilé Philippe Geneletti. Ensemble ils composent des recettes originales et variées autour de l’univers du kebab avec un objectif : allier plaisir et nutrition. L’aspect qualitatif du produit est donc supérieur au kebab traditionnel mais les prix eux s’alignent sur ceux de la concurrence.

Vu le pedigree du créateur, son jeune âge et son physique de jeune premier, il parvient à avoir de belles retombées presse avant même l’ouverture de son premier restaurant en 2010, aux Halles. Ce concept nouveau sera d’ailleurs récompensé par le troisième prix des jeunes créateurs du commerce. Tous les ingrédients de la success story sont réunis. Damien Schmitz espère rapidement franchiser sa start-up pour multiplier les ouvertures.

   

Mais si le concept est attrayant sur le papier, la concrétisation et le déploiement se font sans grande cohérence et surtout sans moyens. Résultats, l’expérience client n’est pas à la hauteur de la promesse. La décoration se veut être un savant mélange de culture urbaine et orientale, mais les couleurs et le mobilier faussement design font un brin cheap. La signalétique renvoie davantage aux codes du fast food, de même que la vitrine en libre service pour les boissons et desserts censée fluidifier le service aux heures de pointe.

Les débuts sont quand même encourageants, mais la première boutique est obligée de fermer après 5 mois d’activité pendant toute la durée de la transformation du Forum des Halles. Un autre point de vente a alors ouvert dans le quartier de Saint-Lazare, mais il retombait dans l’univers du petit kebab traditionnel de quartier plutôt que d’être un aboutissement de l’idée.

Dans le marketing en général, et plus encore dans le retail, l’idée est une chose, le déploiement en est un autre.

Comedie - Kebab grille

Ce que Our a rêvé, Grillé est peut-être en train de le faire. C’est le troisième exemple d’initiatives dans l’univers du kebab, le plus récent.

L’aventure Grillé débute en juillet 2013 suite à l’association de Marie Carcassonne, Hugo Desnoyer (le boucher aux viandes d’exception) et Frédéric Peneau (l’ancien associé du chef Inaki Aizpitarte au Châteaubriand). Cette nouvelle adresse installée dans le 2ème arrondissement parisien propose une décoration sobre et épurée (faïence blanche façon cuisine de restaurant ou boucherie de quartier). Tout est préparé sur place (y compris la sauce, les pains, les frites), devant le client, qui a le sentiment de rentrer dans la cuisine. L’accent est mis sur la propreté et la transparence des procédés de préparation.

Comedie - kebab grille 2

Et pour confectionner leurs kebabs de luxe, les associés ne lésinent pas sur les moyens : légumes bios, viande en provenance de la boucherie d’Hugo Desnoyer, herbes aromatiques de chez Annie Bertin et recette du pain mise au point par Jean-Luc Poujauran. Les prix restent abordables mais se situent bien sûr dans le haut de la fourchette. Si la file d’attente à l’heure du déjeuner est le gage d’un succès reconnu, reste à voir comment ce concept pourra être démultiplié, nos trois chefs n’ayant a priori pas le don d’ubiquité.