La petite histoire du logo du Centre Pompidou

Le Centre Pompidou révèle quelques secrets de son logo devenu mythique.

En octobre 2019, le Centre Pompidou a présenté une nouvelle version de son logotype. Plus épuré, il est aussi plus conforme à la vision d’origine de son créateur, Jean Widmer, avec 5 traits noirs au lieu de six. Tout un symbole. Un article du magazine du Centre paru le 10 novembre en révèle la petite histoire. On y apprend que c’est sur un coin de nappe gaufrée que l’un des logos les plus reconnaissables a pris forme. Assis à la terrasse d’un bistrot en face d’un Centre Pompidou encore en travaux, le graphiste Jean Widmer l’ébauche en quelques traits de crayon : six bandes noires traversées par deux zigzags, qui s’inspirent de la fameuse « chenille », l’escalator qui grimpe aux étages ; un jeu entre le vide et le plein, pas de contours.

A l’époque, le designer avait dû se plier aux exigences des décisionnaires qui exigèrent que le logo ait autant d’étages que le bâtiment lui-même, soit 6. Tout est détaillé dans les dossiers d’archives du Centre Pompidou. La création d’un logo ne faisait pourtant pas partie de la demande initiale. Dans les années 1970, l’époque n’était en effet pas encore au marketing de la culture, et l’idée de se doter d’un logo renvoyait plus à l’univers des marques commerciales. La consultation, lancée en 1974 alors que le chantier était en cours, portait plus globalement sur « l’image de marque » du Centre Pompidou et sur des grands principes de signalétique et d‘identité visuelle du lieu. Une demande qui mobilise parmi les plus grands talents de l’époque, comme le graphiste belge Michel Olyff, l’artiste polonais Roman Cieslewicz, le Britannique Henri Kay Henrion, le typographe suisse Adrian Frutiger, le designer italien Massimo Vignelli ou encore le Suisse Jean Widmer. En concertation avec les architectes du bâtiment, Renzo Piano et Richard Rogers, la feuille de route était de penser « l’unité dans la diversité » et inventer « une machine à communiquer ».

La proposition graphique de Widmer et de son agence VDA est assez simple : un code couleur pour chaque département du Centre Pompidou (les arts plastiques en rouge, le Centre de création industrielle en bleu, la Bibliothèque en vert, l’Ircam en violet, et les espaces communs en jaune) et des panneaux signalétiques à la verticale.

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Principes de signalétique
Juillet 1974 – Collection Jean Widmer © Adagp

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Principes de papèterie
Juillet 1974 – Collection Jean Widmer © Adagp

Si le projet est validé par le jury, il n’est toujours pas question à ce moment-là de créer un logo. Widmer, lui, était même opposé à l’idée, estimant qu’un centre d’art et de culture n’était ni une banque ni un aéroport. Il craignait aussi qu’un logotype pouvait se démoder ou être dépendant d’un pouvoir politique. Mais à trois mois de l’inauguration, prévue pour fin janvier 1977, le Secrétaire général Claude Mollard a l’intuition que le Centre Pompidou doit se doter d’un élément visuel fédérateur. Widmer raconte : « Mollard débarque alors en trombe et me dit “il nous faut un logo, c’est urgent et si vous ne le faites pas, on le demande ailleurs”. Je lui réponds “OK je vous le fais, mais ce sera la façade, avec l’escalator.” Il a adoré l’idée ! J’ai présenté les deux logos en même temps, celui avec cinq bandes et celui avec six. Ils voulaient que je dessine un cadre noir autour, mais là j’ai dit “c’est hors de question !” J’ai finalement cédé sur les six bandes, que je trouvais pourtant moins énergique ».

Le logo était né. Mais il a failli disparaître à la fin des années 1990, quand le bâtiment a été fermé pour une remise à niveau globale. Finalement, la ministre de la Culture de l’époque, Catherine Trautmann, décidera de le classer, comme on classe un monument.

Formé par les héritiers du Bauhaus et passé par la mode et la publicité, Jean Widmer a transformé le paysage visuel de la France, œuvrant à l’identité de musées comme à celle des autoroutes. Laurent Vincenti, directeur de création de Yuma, a suivi les cours de Jean Widmer pendant 2 ans aux Arts Déco et continue aujourd’hui encore de prolonger les enseignements de cette vision d’un design inscrit dans le temps long. Il se souvient que « Jean Widmer, après un stage à Paris chez Tolmer, une maison de cartonnage sur l’île Saint-Louis, dessinait les décors au sein du studio graphique, des packagings pour des marques comme Elizabeth Arden. Il succède à Peter Knapp en 1959 au poste de directeur artistique des Galeries Lafayette, pour qui il conçoit le logo de l’époque. En 1961, il travaille comme directeur artistique pour le magazine Jardin des modes, qui lui permet indirectement de rencontrer François Barré, alors directeur du Centre de Création Industrielle (qui deviendra un des départements du Centre Pompidou en 1973). À l’époque, on en était encore en France à la notion d’« arts décoratifs ». C’était l’émergence du design global ; le designer industriel Raymond Loewy venait de publier son livre La Laideur se vend mal. »

François Barré confiera à Jean Widmer la réalisation de vingt affiches pour une série d’expositions, qui seront en fait le début d’une longue série de travaux pour des musées. Car au-delà du Centre Pompidou, Jean Widmer a aussi dessiné notamment les logos du musée d’Orsay, de l’Institut du monde arabe, ou du Théâtre national de la colline.