Matra : la roue de l’infortune

Défense, aéronautique, télécommunications, presse, aérospatiale, automobile, transports, la société Matra a marqué le paysage industriel et économique français sous l’ère Jean-Luc Lagardère. Retour sur l’histoire de la marque au moment où ce qu’il reste de Matra quitte le giron du groupe Lagardère.

C’est en 1941, en plein milieu de la seconde guerre mondiale et en zone libre, que nait la société Matra sous l’impulsion de Marcel Chassagny. Acronyme de Mécanique Aviation Traction, Matra est alors spécialisée dans le domaine militaire : elle fabrique des missiles et des lance-roquettes et développera cette activité plus encore après la libération.

Matra

En 1957, Marcel Chassagny s’associe avec Sylvain Floirat, homme d’affaires et propriétaire de la compagnie aérienne Aigle Azur. Les deux hommes veulent diversifier les activités de Matra, qui, au début des années 60, s’oriente vers la recherche spatiale.

En parallèle, afin de rendre Matra populaire, le jeune Directeur général fraichement engagé, Jean-Luc Lagardère, décide de lancer l’entreprise dans l’automobile. Matra s’allie donc avec René Bonnet, pilote et propriétaire de la marque automobile du même nom pour donner naissance, en 1964, à Matra Sports.

Matra

Les premières automobiles Matra sont présentées cette même année au salon de Paris. Il s’agit de djet modifiées qui portent le nom de Matra-Bonnet :

Matra

Même si Matra reste alors quasi-exclusivement centrée sur l’armement, les exploits sportifs de ses coureurs en Formule 3, Formule 2 puis Formule 1, donnent de plus en plus de visibilité à l’activité automobile de la marque.

En effet l’écurie gagne 3 fois les 24 heures du Mans, est sacrée double championne du monde des conducteurs et des constructeurs en Formule 1 (avec Jackie Stewart et la Matra Ford MS80) et sera même triple champion d’Europe de F2 avec Jacky Ickx. Un succès qui durera dix ans, jusqu’à ce qu’en 1974 Jean-Luc Lagardère décide de tourner la page en annonçant la fin de Matra Compétition.

Matra
Matra

Malgré l’abandon de la compétition, Matra reste très influente dans le domaine de la production automobile. De la M530 à l’Avantime, la marque commercialisera de 1967 à 2003 une large gamme de véhicules parmi lesquelles la Bagheera, un coupé trois places réalisé en partenariat avec Chrysler sortie en 1973, la Rancho, un véritable SUV avant l’heure en 1977 et la Murena, la dernière sportive de la marque sortie en 1980.

Matra

Cette même année (1980), la division Automobile de Matra se transforme en Matra Automobile avec la prise de participation de Talbot (35%) et de Peugeot (10%), Matra conservant les 55% restant. La société reprendra le contrôle total de sa division automobile en 1982 suite à une rupture avec le groupe Peugeot.

Parallèlement aux activités automobiles et militaires, Jean Luc Lagardère, devenu PDG en 1977, diversifie Matra dans de nouveaux domaines : l’aérospatiale, les télécommunications, l’informatique, la recherche offshore, les transports urbains. La société rachète successivement Europe1, Hachette, Manurhin (armement et outillage), Péritel et Depaepe (téléphonie), Jaeger et Jaz (horlogerie) ou encore Solex. Elle se lance également dans le sponsoring en soutenant l’équipe de football du Racing Club de Paris.

Matra

Mais en 1981, l’arrivée du nouveau gouvernement socialiste change la donne : l’État annonce la nationalisation de toutes les entreprises de Défense. Jean-Luc Lagardère obtient que l’État ne prenne que 51 % du capital mais la branche communication doit rester séparée des autres métiers industriels.
Le groupe va alors rencontrer plusieurs difficultés dans le domaine civil et finira par se dégager de nombreux secteurs pour ne conserver que l’automobile, la téléphonie et l’informatique.

En 1984 Matra et Renault s’associent pour la création d’un véhicule hors normes : l’Espace. Ce véhicule novateur à l’origine du segment automobile des monospaces faillit ne pas voir le jour. En effet, après avoir essuyé les refus de Peugeot et Citroën, Philippe Guédon alors président directeur général de Matra, se tourna vers Renault, qui sera seule à adhérer au concept du family car, très proche des vans américains. L’espace inaugure également le nouveau slogan de Renault « les voitures à vivre ».

Matra
Matra
Matra

Dans le secteur militaire, la baisse des crédits européens de la Défense coûte cher à Matra qui est finalement privatisée en 1987. Hachette, de son côté, reprend La Cinq. L’opération se termine par la liquidation de la chaîne qui engloutie tous les fonds propres du groupe. Jean-Luc Lagardère crée alors le Groupe Lagardère afin de rééquilibrer les finances de Matra, d’une part, et de Hachette, d’autre part.

En 1992, lors de la vente d’avions Mirages à Taïwan par un groupement réunissant Thomson-CSF, Snecma, Dassault Aviation et Matra, Matra réussit au cours des négociations à doubler sa part du contrat, au détriment de ses partenaires. Le président de Thomson va alors chercher à le faire payer à Matra. Il monte donc l’opération « Couper les ailes de l’oiseau » qui, à coup de guérilla judiciaire, aboutira à une haine tenace entre les états-majors des deux entreprises. Et lorsque l’État décide de privatiser son meilleur ennemi en 1996, l’opération est un échec pour Matra puisque c’est Alcatel qui reprend Thomson. En 1999, Matra fusionne finalement son activité militaire avec la Société nationale industrielle aérospatiale pour former le groupe aérospatiale-Matra, dont Jean-Luc Lagardère prend la tête. Un an plus tard, il fusionne avec l’allemand DASA et l’espagnol CASA pour former EADS.

En parallèle, l’activité automobile de Matra, autrefois flamboyante, a perdu de sa superbe. Après trois générations d’Espace (l’Espace IV sorti en 2002 et l’espace V présenté au Mondial de Paris 2014 sont 100% Renault), le partenariat Renault-Matra se termine avec le lancement de l’Avantime, dont la fabrication sera arrêtée dès 2003 et 8 522 exemplaires produits.

Matra

Cet échec sera fatal au département automobile de Matra qui ferme définitivement son usine (Romorantin) le 28 mai 2003. Une page se tourne et Matra automobile passe successivement entre les mains de Pininfarina puis de Segula Technologies. En parallèle, la branche aérospatiale est revendue à Airbus tandis que Matra Transport revient à Siemens.

Un reliquat des activités automobiles non cédées, regroupées sous l’entité Matra Manufacturing & Services, continue encore de produire des pièces détachées à Romorantin (destinées essentiellement à alimenter le SAV Renault).

Et depuis 2006, la marque s’est recentrée sur la production et la commercialisation d’une gamme de 2-roues électriques, principalement des vélos et scooters électriques.

Matra

Toujours dans le groupe Lagardère, cette activité « 2-roues » est en cours de cession à Easybike et sera donc transférée physiquement dans la nouvelle usine du groupe à Saint-Lo. Cela marquera la fin du démantèlement de Matra et la scission définitive avec le groupe Lagardère.

Reste à voir comment la marque pourra alors survivre ou se redéployer. Pas sûr que le groupe Easybike, qui n’a déjà pas réussi à rallumer la flamme de Solex, saura mieux s’y prendre avec Matra. Question de moyens, sans doute. Dommage.

Forte de son histoire et de sa légitimité en termes d’innovations et de mobilité, on aurait cependant pu imaginer que la marque Matra se déploie ces dernières années sur le créneau des nouvelles mobilités ; mais cette place a été prise en France par Bolloré avec sa Bluecar et ses Autolib’, ou, aux Etats-Unis, par Tesla.