Lentement, Aigle déploie ses ailes… mais semble tournoyer

Souffrant de son image vieillotte au début des années 2000, le maître caoutchoutier d’origine a opéré une sérieuse remise en cause de son positionnement ainsi que de son activité.

Boutiques repensées pour être plus conviviales, développement de nouvelles gammes de produits ou encore collaborations avec de grands noms de la mode, les changements radicaux opérés ces dernières années lui ont permis de négocier le virage de son 160ème anniversaire.

Aigle

C’est aux Etats-Unis en 1850 qu’Hiram Hutchinson achète à Charles Goodyear son brevet de fabrication du latex élastique et étanche. Si le second fera la carrière qu’on lui connait dans le pneu, le premier choisira quant à lui de s’installer en France près de Montargis en 1853 et d’y créer la « Compagnie du caoutchouc souple ». Avec une population à 90% rurale, la France dispose selon lui d’un fort potentiel de développement sur le marché des protections contre la pluie. Renommée « à l’Aigle » en hommage à ses origines américaines, la marque se spécialise dans le commerce de bottes et de vêtements imperméables.

Aigle

Très rapidement, le succès est au rendez-vous, notamment auprès des chasseurs, des pêcheurs et des agriculteurs. Dès 1857, à l’Aigle s’envole et s’exporte dans toute l’Europe, et même en Australie. C’est d’ailleurs pour faciliter son internationalisation que la marque se renommera plus simplement Aigle en 1867.

De nouvelles gammes de produits apparaissent en 1920, allant de courroies et de tapis de sol pour automobiles aux chaussures plus légères, en toile et caoutchouc, idéales pour les sportifs.

Aigle

En 1972 pour les JO de Munich, Aigle met au point avec le navigateur français Marc Pajot, la célèbre botte bleue aux deux bandes blanches qui deviendra son produit le plus iconique.

La marque s’essaie aussi à la botte hippique en créant l’Ecuyer et investit les courts de tennis avec son modèle Jauffret (du nom du champion national de l’époque). Aigle conservera longtemps sa position dominante sur les segments de la botte de chasse et d’équitation : des marchés stables mais sans espoir de développement.

La gamme de vêtements apparaitra dans les années 80.

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C’est dans ces années 80 que les marques de sport Adidas, Nike et Reebok font leur entrée sur le marché avec leurs stratégies marketing bien pensées et donnent un coup de vieux aux bottes fonctionnelles en caoutchouc, qui vont dès lors commencer à manquer d’attractivité. Et lorsque Yves Mouriès (le PDG toujours en poste aujourd’hui) reprend la direction de l’entreprise en 1989, celle-ci est déjà déficitaire. Alors pour redonner envie aux consommateurs d’arborer fièrement les bottillons, il entame une diversification des activités et un virage stratégique. S’inspirant de marques américaines comme Patagonia ou Timberland (qui profitent à cette époque de l’essor du marché des sports en plein air), il décide de faire d’Aigle la référence française de cette future tendance en Europe.

L’ouverture de la première boutique à Paris en 1989, puis celles d’une cinquantaine d’autres, notamment sur le continent asiatique, vont fortement contribuer à développer sa notoriété.

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Mais au début des années 2000, la marque devenue (en 2003) la propriété du groupe suisse Maus frères, souffre de son territoire de communication éclaté et de son image de marque aux produits techniques légèrement vieillissants. Alors pour recréer un lien affectif fort avec ses consommateurs, elle opère un nouveau virage stratégique. C’est ainsi qu’en 2007 elle recentre sa communication sur la valeur-clé qui fédère, au fond, l’ensemble de ses gammes de produits : la nature. La campagne « Pour la réintroduction de l’homme dans la nature » réussira à combiner les deux éléments qui font désormais la force d’Aigle, avec sur le fond un message de relation harmonieuse entre l’homme et la nature et, sur la forme, un ancrage dans l’univers de la mode (ton, traité des visuels,…).

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Forte de cette nouvelle impulsion, Aigle laisse de côté ses lignes de produits techniques pour développer des vêtements plus « polyvalents et casual, en phase avec l’air du temps ».  Et même si elle n’a pas vocation à devenir une marque de mode, le mot est lancé : les clients de demain seront jeunes et branchés. Pour susciter l’intérêt de ces cibles, Aigle s’associe à des grands noms de la mode. En 2009 d’abord, avec une réédition de la botte Chantebelle par Swarovski puis plus récemment avec la création du kit du festivalier en collaboration avec le duo de designers Kitsuné. Et comme les collections capsules ont la cote, elle rééditera pour son 160ème anniversaire quelques unes de ses pièces (symboliquement en 160 exemplaires), et ne les distribuera que dans deux de ses points de vente parisiens.

Aigle

En passant d’une vague de bottes largement démocratisées à des collections plus élitistes distribuées en points de vente sélectif, Aigle fait incontestablement les yeux doux aux modeuses. Une dimension mode qui va être poussée par les campagnes produits « At home in nature » mais aussi directement sur le lieu de vente par l’intermédiaire de nombreuses déclinaisons de couleurs et la mise en place d’un « bar à bottes ».

Aigle

Aigle n’oublie pas pour autant son coeur de cible originel puisque pour reconquérir le grand-père pêcheur et l’oncle chasseur quelques peu délaissés, la marque capitalisait à nouveau depuis 3 ans sur la valeur d’héritage de ses produits.  D’où la saga publicitaire « portrait de famille », qui s’accompagne, encore une fois, d’une refonte de l’identité des magasins, supposés être conçus pour que les consommateurs se sentent chez Aigle « comme à la maison ».

Aigle
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Pas certain cependant que tout le monde se reconnaisse dans un chez soi avec des têtes de cerfs et autres trophées de chasse sur les murs ! De la branchitude urbaine revendiquée, à la famille militante de Chasse, Pêche, Nature et Tradition, le discours reste parfois difficile à suivre.

La nouvelle campagne de communication qui sort ce mois de mars 2014 abandonne d’ailleurs les photos de famille posées en compagnie d’un ours ou d’une chèvre pour revenir à une mise en scène du produit phare (la botte caoutchouc) dans une tonalité plus « mode »… cette fois-ci avec des chatons. A chacun sa nature !

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Au-delà du remarquable travail iconographique, on a un peu l’impression qu’Aigle joue la girouette au gré de l’inspiration créatrice de son agence. Entre mode et fonctionnalisme, entre lifestyle et loisirs outdoor, entre ville et campagne, entre rêve et réalité, force est de constater que l’on voit Aigle tournoyer.