Marque de chaussons à la pointe du marketing depuis sa reprise par Jean-Marc Gaucher après la mort de sa créatrice, Repetto se forge un positionnement dans l’univers du luxe, quitte à opérer un stretching qui frôle le grand écart.
Tout débute en 1947 lorsque Rose Repetto, styliste française d’origine italienne, voit son fils Roland Petit, revenir de ses répétitions de danse avec les pieds meurtris. Sur ses conseils, elle se charge de concevoir des chaussons plus confortables grâce à une technique innovante et unique au monde, le cousu-retourné. Le bouche à oreille commence à se propager dans l’univers de la danse et Rose installe son premier atelier à deux pas de l’Opéra National de Paris. En 1959, elle ouvre sa première boutique 22 rue de la Paix, une adresse qui deviendra par la suite le repaire des plus grandes étoiles au monde.
D’abord portée par les danseurs, c’est pourtant en majeure partie grâce aux célébrités que la marque s’est démocratisée auprès du grand public et que le mythe Repetto est né. En 1956 déjà, Brigitte Bardot demande à la styliste de lui fabriquer une paire de ballerine pour le film qu’elle s’apprête à tourner. BB associera pour toujours le modèle Cendrillon que Rose lui dédie, à sa gloire dans le film « Et dieu créa la femme ». Mais très rapidement, en 1967, Rose n’arrive plus à répondre à la demande à l’arrière de sa boutique parisienne et se décide à racheter une ancienne usine de pantoufles italiennes dans le Périgord. Au début des années 70 c’est au tour de Serge Gainsbourg et de Mick Jagger de se prendre d’affection pour la marque et de poser sur les photos, célèbres Zizi Repetto chaussées aux pieds.
Après le décès de Rose en 1984, la marque commence à décliner à cause d’un manque de renouvellement des collections. L’entreprise est alors vendue à l’équipementier sportif américain Esmark puis à la Caisse centrale des banques populaires. Cette dernière misera sur le développement externe avec le rachat du principal concurrent, CRAIT, et celui de Gamba, l’entreprise anglaise de souliers sur-mesure. Mais quand Jean-Marc Gaucher (l’actuel PDG de l’entreprise) rachète la marque en 1999, la situation est proche du désastre. Il impose une restructuration sévère et se fixe trois objectifs : exporter au maximum, ne concevoir que des produits uniques et se repositionner sur le luxe. Une stratégie qui va s’avérer payante puisqu’il sort au bout de trois ans seulement du plan de continuation prévu initialement pour une durée de huit ans.
Malgré son internationalisation, la marque a tenu à développer sa production dans l’hexagone pour acquérir plus de souplesse et ainsi adapter sa production à la demande pour plus de rentabilité. Pourtant, la conception des ballerines et autres chaussons demeure artisanale et le procédé de fabrication inchangé depuis plus de 65 ans. Alors pour augmenter sa capacité de rendement tout en conservant son savoir-faire, la marque a créé sa propre école de formation. Mais revendiquer une fabrication française lui a avant tout permis d’avoir un point d’ancrage dans l’univers du luxe et donc de lui ouvrir beaucoup de portes à travers le monde. Pourtant, à la différence de beaucoup d’autres grandes marques comme Hermès ou LVMH, Jean-Marc Gaucher a tenu à garder son indépendance en gardant son capital fermé pour rester le seul et unique actionnaire de Repetto.
Les boutiques restent le premier vecteur de communication : mur de pointes perceptible depuis l’extérieur, rideaux de velours et barre de danse dans les cabines, devanture des vitrines soigneusement travaillée (on se souvient encore de la première vitrine interactive lancée par la marque).
Mais le marché originel de la marque, c’est à dire celui des pointes professionnelles, est un marché compliqué et il a fallu qu’elle recrée de la demande pour développer sa croissance. Alors dès le début des années 2000, Jean-Marc Gaucher fait appel à des stylistes de renommée pour dessiner des collections de ballerines de ville : Issey Miyake, Karl Lagerfeld, Yohji Yamamoto ou encore Jean-Paul Gaultier. Mais Repetto ne s’est pas arrêtée là puisque elle a étendu son territoire dans les secteurs de la maroquinerie et du prêt-à-porter. Pour concevoir ces nouvelles gammes, les designers s’inspirent du vestiaire de la danseuse avec des hauts noués, drapés, qui multiplient les jeux de bretelles, de croisés et de transparence, tandis que les produits de la maroquinerie portent des noms de pas de danse tels qu’ « arabesque », « révérence » ou « cabriole ».
Repetto semble aujourd’hui danser avec le succès : en 2012 le chiffre d’affaires dépassait la barre des 60 millions d’euros, dont plus de 50% à l’export grâce à une implantation dans 44 pays à travers le monde.
Dernier étirement en date : le parfum. Passer du chausson au parfum n’a rien d’une évidence a priori, mais Repetto a lancé cette année sa première fragrance. Reste à observer si, à force de tirer sur la corde, la marque ne va pas finir par se faire une élongation. Elle serait alors obligée de quitter ce marché sur la pointe des pieds.